Il y a quelques semaines, je terminais le livre de Dorian Chauvet intitulé « Histoire de nos mains ». Cet ouvrage rassemble les témoignages de 90 professionnels qui évoquent, au travers de leur métier, leur relation avec leurs mains et le rôle de celles-ci dans leur activité professionnelle. Des dessins et peintures reconnectent aussi le lecteur à leur agilité, leur beauté et leur fragilité. L’envie me vient alors de questionner le rôle de mes mains et de m’attarder à ce qu’elles apportent dans mon quotidien professionnel. Vingt-sept os, vingt et un muscles, trois nerfs principaux, de nombreux vaisseaux et ligaments : quelle danse interactionnelle se joue chaque seconde afin d’ajuster, coordonner, toucher, ressentir… En somme, permettre le mouvement… Que de retours d’informations entre le cerveau et les autres systèmes pour pouvoir adapter nos faits et gestes au contexte !
Il y a la main qui accueille le patient par une poignée tantôt délicate ou plus affirmée. Celle-ci est accompagnée d’un échange de regards. D’autres poignées sont par contre plus furtives et rapides. Avec certains patients, ce sera juste un échange de mots accueillants sans se toucher ; par souci de respecter une certaine intimité ou parce que les mains sont déjà occupées. De mon côté, quand ma main serre une semblable, mon intention est de manifester ma disponibilité, ma présence à « son propriétaire » , à ce qu’il est et ce qu’il va me confier. La main de l’accueil est aussi celle qui dirige la personne, qui l’invite à s’asseoir, qui propose un verre d’eau.
Lors de la phase de décodage, j’utilise évidemment mes mains pour écrire, mapper, représenter dans quel cercle vicieux le patient se trouve. Je n’écris pas tout de suite : je prends le temps d’écouter ce qui vient, de poser des questions et d’attendre le feed-back du patient…Petit à petit, je visualise les séquences interactionnelles ; elles deviennent plus précises. Mes questions affinent ma compréhension et je trace alors les flèches. Il m’arrive d’effacer… Mes mains sont actives et en même temps, je veille à adapter ma voix, mon intonation et mon regard afin de transmettre au patient que « je suis avec lui ».
Je peux aussi associer à mon questionnement un mouvement. Ainsi, en évoquant la pensée entrante en flèche bleue « quand vous vous dites que vous n’y arriverez pas et que vous êtes nulle », ma main va représenter, dans l’espace, le mouvement entrant au niveau de la tête. En questionnant la tentative de régulation, « qu’est ce qui vient après comme pensées ? », ma main fait le mouvement sortant. Et lorsque je demande « Est-ce que ça vous aide ? », je peux aussi associer cette question d’un geste.
« Quand l’œil voit, la main fait » : lorsque j’ai compris comment fonctionne le problème, j’en synthétise sa dynamique lors d’une reformulation stratégique et il m’arrive de faire les gestes afin de représenter les interactions. Choisir d’associer le mouvement au discours pour représenter la circularité donne encore plus d’impact aux mots et souligne l’effet aggravant des tentatives de régulation. Différents sens sont activés chez le patient qui perçoit et intègre en quoi ses tentatives de régulation augmentent sa souffrance.
Toujours dans le but que le patient saisisse en quoi ses tentatives de régulations ne font qu’aggraver son problème, il m’arrive de représenter une idée ou d’accompagner une métaphore d’un geste. Si, par exemple, le patient a tendance à éviter une émotion, je peux alors utiliser mes mains pour représenter le mouvement d’évitement. Je peux aussi utiliser un foulard pour montrer à deux personnes que lorsqu’elles sont dans une escalade symétrique où chacun veut avoir raison , cela crée de la tension. Le risque alors est que le foulard se déchire et/ou qu’un seul des protagonistes ne se l’approprie… J’invite les patients à remettre de la souplesse en tenant le foulard autrement et en étant attentifs à la sensation ressentie. Ils perçoivent et intègrent souvent alors chacun leur part de responsabilité dans la relation. Mes mains sont là aussi pour faire du bruit : je peux me lever et frapper à la porte. Celle-ci étant fermée, j’insiste et je reproduis mon geste signe d’un bruit plus fort… La porte ne s’ouvre pas… C’est comme les émotions et sensations qui continuent à « faire du bruit » si on ne s’ouvre pas à leur message…
Par le toucher, mes mains sont aussi là pour réconforter un patient, lui manifester mon empathie dans ce qu’il traverse ici et maintenant. Après avoir demandé au patient son accord, il m’est arrivé de me déplacer et de poser ma main, par exemple, sur son épaule ou sur ses genoux. Les situations où le toucher me semble être un vecteur thérapeutique essentiel sont des situations où, par exemple, le patient a tendance à lutter contre sa tristesse ou ses peurs (=TR). Quand ces émotions s’expriment et qu’il les traverse, je lui transmets, avec ce toucher bienveillant, que je « suis là avec lui » dans cette expérience émotionnelle et sensorielle qui s’inscrit à 180° de ce qu’il a l’habitude de vivre. Ce type de toucher thérapeutique peut être aussi opportun lorsque nous avons repéré avec le patient, que dans son quotidien, il a tendance à traverser sa souffrance seul et que cette solitude est elle-même source de souffrance… Un toucher congruent et en cohérence avec ce contexte interactionnel me semble alors avoir tout son sens. Les mains sont alors là pour apaiser, réconforter et cela est mis en mots dans un cadre clair et sécurisant au bénéfice du patient et du processus thérapeutique.
Et depuis quelques mois maintenant, mes mains prennent un rôle encore différent lors des stimulations bilatérales alternées réalisées dans le cadre de séances en EMDR. Guidés par le mouvement de nos doigts qu’il suit du regard ou lors de tapotements alternés sur ses genoux, le patient mobilise une double attention (à la fois sur un aspect de son vécu intérieur et sur un focus extérieur) qui permet au système nerveux de retraiter une expérience vécue négativement. L’activation corticale est ainsi régulée, entrainant un effet apaisant sur le corps suite, notamment, à la sécrétion d’acétylcholine. La fonction de l’amygdale est réajustée et le patient intègre alors les évènements actuels et les souvenirs associés d’une manière plus fonctionnelle. Dans ce type de pratique, nos mains d’intervenants ont également un rôle essentiel !
Je pourrais poursuivre avec d’autres illustrations qui mettraient également en évidence le rôle puissant de nos mains en tant que praticiens de l’aide ; qu’il s’agisse de leur vertu énergétique ou de l’importance d’utiliser les mains du patient et ses sensations corporelles pour lui faire ressentir le changement ou retrouver une régulation émotionnelle permettant la poursuite du processus thérapeutique. Les occasions de continuer dans cette voie ne manqueront pas.
N’hésitons pas, dans nos métiers respectifs et dans notre quotidien, à prendre conscience de toute la richesse qui émane de nos mains. Je leur adresse ici un Merci rempli de gratitude : elles portent, soutiennent, ressentent, façonnent, … Mais surtout, elles nous relient en tant qu’HU…MAINS !