Ce matin, Éric se dépose en séance avec l’impression de ne pas mériter son changement de fonction . Il se dit qu’il n’est pas assez bien pour avoir ce poste-là : « D’autres collègues ont plus d’expérience que moi, il faut que mon niveau de compétences soit égal au leur». Il a peur de décevoir son chef par rapport à cette nouvelle promotion. Il rentre presque tous les jours découragé en ayant une faible estime de lui et en n’ osant pas affirmer son point de vue quand les collègues plus anciens sont en sa présence… Plus il tait ses idées, plus il laisse l’occasion aux autres de prendre le lead sur les projets et plus il a l’impression de ne pas être compétent pour cette fonction et de ne pas être considéré à sa juste valeur,….
Natacha vient pour la première fois en consultation car elle n’arrête pas, depuis quelques mois, d’avoir des pensées qui la dérangent par rapport à certains de ses proches et/ou amis : « Ils (sa belle-sœur et son frère) partent en vacances tout le temps, ils ont l’air tellement heureux, ils en profitent eux » ; « Elle (une amie) ne réagit pas adéquatement vis-à vis de sa fille, elle la transforme en « Enfant Roi » ,…
Dans un premier temps, Natacha a tendance à lutter contre ses pensées quand elles arrivent et donc à ne pas se donner la permission de les avoir en tête. C’est inconcevable et illégitime pour elle d’avoir ce type de pensées alors que ce sont des gens qu’elle apprécie beaucoup par ailleurs. Plus elle se dit « Il ne faut pas que je pense cela d’eux » et plus ses pensées l’envahissent. Des injonctions habitées de comparaison arrivent ensuite telles que : « il faut qu’on fasse la même chose ou plus (concernant son beau-frère et sa belle-sœur) ou « il faut qu’elle pense comme moi par rapport à l’éducation (concernant son amie) .
C’est la quatrième séance pour Julia qui est institutrice en sixième primaire. Suite à un problème dans la gestion du fonctionnement de sa classe, elle est venue demander de l’aide pour y voir plus clair sur la situation qui l’épuise. Elle est en congé de maladie depuis un mois. Elle a déjà bien saisi le cercle vicieux dans lequel elle était avec certains élèves en difficulté (moins elle les responsabilise en classe et plus elle fait tout à leur place , plus les élèves se reposent sur elle => plus elle s’énerve et s’inquiète de leur capacité à réussir le CEB). Elle a également réfléchi à ce qui est maintenant acceptable ou pas dans sa classe et dans son travail à domicile… Elle est contente de son cheminement et se sent prête à retourner en classe. Ce qui reste source de souffrance, à ce stade, est de la colère vis-à-vis de sa direction. Selon Julia, la direction ne considère pas assez son investissement en tant qu’institutrice et ne l’a pas assez soutenue. Elle exprime qu’elle espère que le directeur aussi va se remettre en question par rapport à sa fonction de chef d’équipe: « En mon absence, il doit se remettre en question tout comme moi » semble être l’injonction qui l’anime.
Ces situations variées font écho à une notion souvent évoquée en consultation, celle de la comparaison. Le thème de la comparaison sociale est vaste et est un des champs les plus foisonnant de la psychologie sociale. Aujourd’hui, le souhait de ces quelques lignes est de l’aborder à travers ma pratique. En effet, dans notre société, la comparaison sociale peut correspondre à une tentative de régulation source de souffrance pour les patients mais elle peut correspondre aussi à une régulation : j’ai eu souvent le réflexe de dire aux patients d’arrêter de se comparer aux autres sans vraiment les questionner en détail à ce propos et donc sans souligner qu’elle peut avoir des effets bénéfiques pour eux. Nos premiers outils sont le questionnement et la position d’anthropologue mais lorsque la notion de comparaison était exprimée en séance, mon exploration en était assez brève.
Il me semble essentiel de faire tout d’abord référence aux différents types de comparaisons sociales mises en évidence par la Psychologie sociale. La comparaison latérale concerne la comparaison à un groupe ou à une personne que l’on juge identique ou proche de soi ( Ex : je vais me comparer à quelqu’un qui a le même niveau que moi dans un domaine précis). Souvent, ce type de comparaison donne du sens à notre avis, nos réussites et nous rassure par rapport à un point de vue partagé par d’autres qui « jouent dans la même cour que nous ». Elle peut aussi nourrir notre fierté, nous challenger. La comparaison sociale descendante correspond au fait de se mesurer à plus faible que soi (ou que j’estime plus faible) et la comparaison ascendante consiste à se comparer à une personne jugée supérieure à soi. Les conséquences sont, généralement, pour la descendante, de nous remonter le moral, de mieux accepter notre sort, de maintenir une image positive de nous . L’ascendante nous donne habituellement l’élan de nous dépasser, nourrit notre motivation à progresser mais peut aussi fragiliser l’estime de soi en nous amenant à rester bloqué sur nos manques et nos faiblesses.
La comparaison sociale peut avoir plusieurs fonctions et répondre à différents besoins. Nous pouvons l’utiliser pour mieux nous connaître, nous positionner face aux autres et préserver notre estime de nous. Se comparer peut être une forme de sécurité et une régulation qui nous donne des indications pour adapter notre rapport à nous-même et au monde. La comparaison est un processus naturel et légitime qui dépend de plusieurs facteurs en interaction et qui varie en fonction du contexte. Elle n’a donc pas d’office une connotation négative.
Ces questions me semblent essentielles à poser pour y voir plus clair quand un patient y fait référence:
- En quoi est-ce logique pour la personne de se comparer actuellement et dans ce contexte spécifique ?
- A quelle fréquence et par rapport à qui ?
- Quelles sont les conséquences de la comparaison sur le quotidien de la personne ?
- Est-elle un frein qui cultive le problème ou un levier de changement?
- Qu’est ce qui est source de souffrance pour le patient ?
Je remarque aussi qu’il est intéressant de questionner les comparatifs utilisés dans le discours des patients ( « aussi grand que », plus grand que...moins grand que…,) mais aussi les superlatifs (-la/le/les plus grand, le/la/les moins grand) et les adverbes de fréquence. Ces questionnements sont déjà une forme de recadrage. En effet, ils permettent au patient de prendre du recul sur la situation et parfois de relativiser et/ ou de se positionner autrement. Quoiqu’il en soit les questions amènent toujours des informations « qui créent une différence » dans notre manière de percevoir la situation du patient et dans la sienne également.
Si je reprends les situations de Eric et de Julia, je découvre grâce à ce type de questions notamment, que la comparaison telle qu’ils l’utilisent, ne les aide pas et est source de souffrance pour eux. Quant à Natacha, je saisis que ses pensées liées à la comparaison sont légitimes et que plus elle va nier ses émotions et besoins liées à ces pensées signes de comparaison et plus elle risque d’être frustrée et donc de la nourrir.
Ainsi, Eric a été invité à encore plus se comparer à ses collègues mais à tous et pas seulement à ceux qu’ils perçoit comme plus compétents. De plus, alors qu’il se comparait uniquement en faisant référence à certains critères, je lui ai demandé de se comparer aux autres en ajoutant des sujets de comparaison (parler en public, ponctualité, connaissances informatiques et capacités relationnelles, …) Il est revenu avec un tableau rempli et il fût bien vite saturé de le compléter… Il a pris conscience, d’une manière plus objective, qu’il avait des limites mais aussi pas mal de ressources et qu’il en avait encore d’autres à apprendre dans le cadre de cette nouvelle fonction…
Concernant Natacha, après lui avoir proposé de laisser venir toutes ses pensées négatives par rapport à ses proches une fois par jour lors d’un moment bien précis sans les censurer, je lui ai proposé d’aller observer ce qui se passait à l’intérieur d’elle-même en termes de besoins et d’émotions : « Dès que les premiers signes de comparaison se manifestent chez toi, laisses-les venir et tente de saisir ce que la comparaison veut te dire. Peux-tu noter, à ce moment-là, ce que tu éprouves comme émotions, ce que tu ressens comme besoins et en quoi tu as de bonnes raisons de te comparer aux autres à ce moment précis ? » En allant à la rencontre d’elle-même, Natacha a découvert que quand elle se comparaît, c’était souvent le signe qu’elle se sentait en colère contre elle-même de ne pas concrétiser certains de ses besoins et de ne pas oser passer à l’action pour les mettre en œuvre.
Et tout en rejoignant Julia, je lui ai souligné qu’il valait mieux s’attendre à ce que son directeur ne se remette pas en question. Je lui ai reprécisé aussi qu’on ne peut pas changer l’autre mais des choses chez soi qui peuvent avoir un impact sur la relation à l’autre: « Les apprentissages et changements que vous choisissez de faire auront peut-être une influence (laquelle, on l’ignore encore…) sur la relation que vous pourrez avoir avec votre direction mais nous ne pouvons pas le changer «lui ». Et puis, après avoir découvert que son attente par rapport à la direction était présente depuis bien longtemps, je lui ai posé cette question : « D’ailleurs, que feriez-vous concrètement de différent à partir de maintenant si vous aviez la certitude que votre directeur ne changera jamais ? ». Julia a souri et a laissé un silence… et puis a confié qu’elle rentrerait autrement en contact avec les parents d’élèves, qu’elle s’investirait autrement dans les activités pour récolter de l’argent pour l’école et qu’elle lui laisserait faire le discours de fin d’année car il a toujours tendance à se reposer sur elle pour ce genre de chose. Elle a souligné qu’elle continuerait à collaborer avec lui quand il s’agit des questions de discipline dans la cour ainsi que d’autres projets de classe et d’excursion qui lui tiennent à cœur.
Cette question a freiné Julia à maintenir une attente idéale par rapport au fait que sa direction devait avoir fait autant de cheminement qu’elle. Elle l’a aussi aidé à entrevoir et accepter leurs différences ainsi que leurs forces communes et les aspects où il lui semblait important de continuer à « faire équipe ».
En terminant cet écrit, voici ce qui me vient …Et si se comparer était signe d’Acceptation ? Accepter l’autre dans sa différence au lieu de se confondre à lui ou qu’il se confonde à nous…Et si se comparer était signe de Recherche ? Celle de la juste estime de soi ; ne pas s’imaginer toujours inférieur aux autres et ne pas se vouloir supérieur à eux…Avoir conscience de ses forces et ses imperfections…accepter d’être qui l’on est « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris » disait Oscar Wilde.
Clotilde Jacquet