Quand on a tout essayé… essayons l’inverse ! Notre fameux 180°…
Il est certain que nous obtiendrons de la sorte un changement dans le système, nos fondements théoriques l’affirment et notre pratique le confirme. Cependant, la question est de faire ce virage au bon niveau afin de viser un vrai changement de type 2. Nous ne savons pas toujours où nous mènera ce changement, mais il va devoir conduire le patient à lâcher son objectif qui souvent correspond au thème des tentatives de régulation.
Par exemple, Monsieur D. vient me voir car il déborde de colère vis-à-vis de son voisin électricien qui l’a arnaqué de plusieurs milliers d’euros. Dans un premier temps, pendant des mois, Monsieur D. allait sonner tous les jours chez son voisin pour lui réclamer son argent et exprimer de manière relativement correcte sa colère. Il espérait ainsi récupérer son argent. Cette stratégie ne fonctionnait pas et lui amenait de surcroit des problèmes de couple. Madame ne supportait plus de le voir se rendre chez le voisin aussi fréquemment et revenir de là encore plus énervé face à l’attitude désinvolte de ce dernier. Sous l’impulsion de son épouse, il a donc fait de lui-même son 180° en n’allant plus chez son voisin exprimer (et entretenir) sa colère quotidiennement. Deux effets positifs étaient attendus de ce revirement : un apaisement de la colère de Monsieur et éventuellement, un geste du voisin.
Malheureusement, rien de cela ne s’est produit. Monsieur a débarqué chez moi plusieurs semaines plus tard sous haute tension car il ne pouvait plus extérioriser sa colère. Il n’avait toujours pas récupéré son argent et son couple battait de plus en plus de l’aile, sa colère débordant à la maison…
Je pense également à Monsieur et Madame M., parents de Théo qui rate ses études de bioingénieur. C’est sa 3ième première et ses parents ne savent plus quoi faire pour qu’il se mette enfin à travailler sérieusement car, ils en sont convaincus, il est capable de réussir. Nous avons répertorié toutes leurs tentatives de régulation qui ont pour thème « Tu dois t’y mettre et nous allons t’y obliger» et « tu dois réussir ». Leur tâche est donc de complètement lâcher et de le laisser gérer son deuxième quadri sans aucune intervention de leur part («Tu peux ne pas t’y mettre, à toi de décider»). Théo aurait pu se responsabiliser et enfin prendre les choses en main mais nous sommes en pleine session de juin, Théo en fait encore moins et se désinvestit de ses études. Les parents qui ont appliqué le 180° en pensant amener leur fils à travailler, donc en restant dans leur thème sont complètement désespérés concernant les études de leurs fils quand ils reviennent me voir en fin de session.
Madame L. a, elle aussi, fait l’expérience du 180° qui ne lui a pas apporté l’effet espéré. Elle venait me voir pour apprendre à mettre ses limites au boulot et enfin se faire respecter de ses collègues. Elle se sentait complètement débordée et dépassée par la quantité de travail mais n’osait pas refuser de nouvelles missions et de nouveaux projets par peur de se faire virer. Après avoir apaisé sa peur grâce au scénario du pire, elle a finalement réussi à refuser plusieurs projets. Même si cela l’a soulagée dans un premier temps, elle s’est vite retrouvée dans le collimateur de son collègue direct. Nous avions préparé ensemble ce risque afin d’éviter une attente magique sur le thème « il faut qu’ils m’en demandent moins ! ».
A travers ces différents exemples, nous constatons que nous ne pouvons pas toujours obtenir le changement « idéal ». Monsieur D. aurait pu s’apaiser petit à petit en n’allant plus se confronter quotidiennement à son escroc de voisin. Théo aurait pu enfin se rendre compte que son avenir est entre ses mains et que c’est à lui de prendre ses études en charge. Et Madame L. aurait été en droit d’espérer que son collègue soit compréhensif. Malheureusement il n’en a pas été ainsi pour ces patients-là. Le changement se déroule à un autre niveau.
Il est capital de travailler avec eux sur le deuil du thème de leurs attentes.
Comment dès lors accompagner ces patients ?
Avant tout, en amont, il est primordial de toujours prendre la précaution de prévenir nos patients qu’il y aura forcément un changement s’ils appliquent le 180° proposé mais qu’on ne sait pas toujours dans quel sens ira ce changement. On va régulièrement leur annoncer une aggravation du problème afin de diminuer toutes attentes par rapport au thème de leur tentatives de régulation.
En réalité, il s’agit de faire un vrai 180° au niveau du thème : arrêter la lutte et renoncer à l’objectif tant désiré. Notre rôle est alors d’accompagner le patient dans le deuil du changement souhaité. Ce changement ne semble pas possible au vu du contexte, des personnes, de la situation, …
L’objectif est alors de les mener tout doucement vers l’acceptation.
Ainsi, Monsieur D. a appris à accepter qu’il ne reverra pas la couleur de son argent malgré toutes les démarches juridiques entamées. Alors qu’au début, la colère était ravivée à chaque fois qu’il voyait son voisin, il a pu cheminer petit à petit vers l’indifférence grâce à l’une ou l’autre séance d’hypnose.
Les parents de Théo, eux, ont évolué vers l’acceptation de l’arrêt des études universitaires pour leur fils. Ils réfléchissent avec lui à une nouvelle orientation.
Et Mme L. a accepté que son environnement de travail est toxique et qu’il est temps de mettre les voiles malgré les risques que la traversée comportera. Nous travaillons les risques du changement afin de l’aider à enfin passer le pas.
En conclusion, quand on prescrit un virage à 180°, il est capital d’être vraiment monté d’un niveau et d’abandonner la lutte, un peu à la manière d’un but conscient duquel nous pourrions nous rapprocher dans certaines de ces situations.