Lorsque la tristesse risque de nous submerger, lorsque nous craignons qu’une souffrance occasionnée par une rupture dans nos vies ou pour d’autres raisons ne nous terrasse comme une vague incompressible, nous sommes parfois tentés d’élever une digue contre nos émotions.
Cette digue peut revêtir toutes sortes de formes comme la fuite dans le divertissement, la fête, la workaholisme, la suractivité, le silence, les sports extrêmes… Mais souvent, la tristesse nous rattrape et se manifeste par des accès de colère, un sentiment de vide, une angoisse sourde, un mal-être qu’aucun barrage ne parvient à complètement endiguer.
Comment cette vague d’émotion reflue sans cesse…
Camille souffre d’une rupture amoureuse et, depuis que son ami l’a quittée, elle n’a plus jamais peint, alors qu’elle avait jusqu’à présent consacré toute sa vie à la création artistique. Elle s’est réfugiée dans un travail alimentaire car son métier d’artiste lui rappelait trop l’époque heureuse où elle était avec Jim et la connectait à des émotions qu’elle ne veut plus ressentir afin de ne plus souffrir. Cependant, elle ressent un profond manque dans son existence où plus rien ne vibre.
Alba vit aussi une rupture amoureuse et la colère de voir son ex avec une nouvelle compagne l’amène à oblitérer le sentiment de tristesse qui revient subrepticement chaque fois qu’elle participe à une activité qui lui rappelle les moments passés avec Olivier. Peu à peu, elle évite aussi ces activités et s’éloigne de ses anciens amis avec qui elle se comporte de manière agressive. Les seuls moments de paix, elle les trouve dans des fêtes bien arrosées qui l’étourdissent jusqu’au lendemain.
Dans un autre registre, Matthieu a de profonds accès de tristesse lorsqu’il rentre chez lui après des journées surchargées où il a honoré ses très nombreux engagements pour améliorer l’accueil des réfugiés et contribuer au développement durable. Il se sent angoissé à l’idée de ne plus pouvoir gérer toutes les causes qui l’habitent car il est de plus en plus épuisé, stressé, voire très sombre.
Alex, quant à lui, ne supporte pas de voir la monde aller à vau-l’eau, comme il l’exprime. Mauvaise gestion du covid, robotisation, manque d’action face au réchauffement climatique, scandales politiques… : tout le révolte, l’amène à s’exprimer avec colère sur les réseaux sociaux ou lors des conversations avec son entourage… Il se sent de plus en plus isolé et impuissant dans son combat auquel il ne renonce cependant pas….
Stéphanie est en perpétuelle activité, elle est venue consulter suite à un burnout : on a identifié que cette suractivité (entre autres dans sa vie professionnelle à laquelle elle s’identifie) était une protection contre la tristesse de ressentir un grand vide, lié à une piètre estime d’elle-même.
Enfin, Laurent s’apprête à vivre le deuil de sa sœur gravement malade. Il se sent très triste, impuissant mais chaque fois qu’il rend visite à sa sœur, il lui parle comme si elle allait guérir par crainte d’affronter la réalité et parce que cette idée le paralyse tant il ne peut se l’imaginer disparaître alors qu’ils sont si proches et que ses enfants sont encore tellement jeunes. Sa sœur de son côté le protège en ne lui parlant pas de ses douleurs et de sa peur de mourir, ce qui le rend encore plus triste car il voit qu’elle souffre.
Quelles sont donc les pistes pour canaliser les émotions de Camille, Alba, Matthieu et les autres ?
Toutes ces situations ont un point commun : c’est le barrage contre les émotions qui, contenues par la digue, menacent sans cesse de déborder.
Comment aider Camille, Alba, Matthieu, Alex, Stéphanie et Laurent à traverser cette émotion parfois si difficile à accueillir ?
A Camille et Alba, on proposera un « rendez-vous avec la tristesse » : dédier chaque jour un moment pour épingler un souvenir partagé avec leur ami perdu (comme une galerie de tableaux ou un album avec des photos de ce souvenir), honorer ce moment qui a fait partie de leur vie en accueillant la tristesse qui l’accompagne. Ce rendez-vous sera l’occasion d’ouvrir les vannes et, jour après jour, de diminuer ce bouillonnement d’émotions qui les a amenées jusqu’à présent à l’éviter.
Si la colère d’Alba est bien légitime, celle-ci cache aussi la tristesse et son agressivité avec ses amis qui cherchent à l’aider, l’isole de plus en plus : elle pourrait exprimer cette colère d’une façon plus écologique et accueillir avec gratitude l’aide de ses amis.
A Matthieu et Alex, on proposera de faire le deuil d’un monde idéal et de choisir plus raisonnablement une cause à défendre sans vouloir imposer à tout prix leur vision du monde à ceux qui pensent autrement.
Pour qu’Alexia puisse se poser, on l’invitera tous les jours à vivre un moment de « rencontre avec ce vide » et à noter tout ce qu’elle ressent, tout ce à quoi elle pense lorsqu’elle laisse le vide l’habiter. L’émotion a quelque chose à lui apprendre…
Quant à Laurent, il pourra plus sereinement affronter la réalité de la mort prochaine de sa sœur en lui parlant simplement de ce qu’il ressent pour lui permettre, à elle, d’évoquer sans détour sa souffrance physique et sa prochaine disparition.
Il pourra aussi penser à ce qu’il pourra faire pour soutenir ses neveux quand sa sœur ne sera plus là et noter tout ce qui lui manquera quand sa sœur décèdera…
En conclusion, accueillir une émotion qu’on essaie de refouler et qui reflue, est une voie d’apaisement, une occasion d’échanger en profondeur avec un proche, une ressource pour mieux se connaître et, in fine, pour diminuer la souffrance !