Durant une séance, nous sommes amenés en tant qu’intervenant, à susciter l’étonnement…. Le patient, qui fait du "plus de la même chose", est piégé par ses perceptions et croyances qui font, entre autres, que le problème persiste…Le système ronronne et fonctionne d’une manière routinière. Par nos interventions stratégiques et la relation que l’on instaurera petit à petit avec le patient, l’idée va être de le surprendre et de l’amener à percevoir la réalité autrement. C’est là que l’humour peut être un outil thérapeutique source de surprises. Il rend le patient (et le thérapeute) ouvert(s) à de nouvelles perspectives : la réalité interne et externe est redéfinie et reprend une nouvelle coloration.
Il y a de nombreuses définitions de l’humour. Je retiens celles issues du dictionnaire Larousse:
- Forme d’esprit qui s’attache à souligner le caractère comique , ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité ; marque de cet esprit dans un discours, un texte, un dessin,…
- Caractère d’une situation, d’un évènement qui, bien que comportant un inconvénient, peut prêter à rire.
Par ces mots, je comprends qu’il ne s’agit pas d’être ironique ou sarcastique mais, dans une atmosphère bienveillante, de rire avec le patient. Toute la nuance se situera dans la manière dont l’intervenant va communiquer le contenu de son message et dans l’intention qu’il choisira de donner.
L’humour peut être une forme de recadrage à travers une métaphore, une anecdote ou une prescription paradoxale. La richesse de ces langages est qu’ils distillent différents sens et qu’on peut en avoir plusieurs lectures. De par cette diversité de significations, on s’éloigne de la rigidité et d’une seule manière de voir pour semer un brin de souplesse. Car c’est bien de cela dont il s’agit : on crée en douceur une aversion envers les tentatives de régulation et le problème prend une autre forme, une autre texture , un autre poids. Par ces analogies, on va toucher le cœur.
L’humour, quand le contexte s’y prête et qu’il est bien dosé, nourrit l’alliance thérapeutique. Alors qu’ils se savent distincts et différents, c’est comme si pour un moment de parenthèse dans la consultation, le patient et le thérapeute se retrouvaient " d’égal à égal " : ils sont reliés dans l’instant par ce partage commun qu’est l’humour.
Au fur et à mesure de ma pratique, je me « prends moins au sérieux ». Quand vient cette part d’humour, des paillettes de légèreté donnent à la consultation une autre luminosité. Ce que j’aime, c’est ce côté inattendu. Ca ne se prépare pas. La créativité se cueille dans l’ici et maintenant. J’apprécie ce côté furtif comme si le temps était suspendu. Le sourire ou les rires sont l’indice d’un déclic. D’une petite chose soulignée comme bizarre, irrationnelle ou ridicule émerge un mouvement qui fait perdre au problème son statut alarmant.
Il était rare avant que j’ose utiliser l’humour avec une personne dont l’humeur était profondément triste et habitée d’un manque d’élan (pour ne pas dire « en dépression 😊) A cette personne qui passait ses journées dans son lit depuis des semaines et qui avait pour tâche de chouchouter ses mains pendant 10 minutes par jour (elle a commencé par les masser avec une crème, les féliciter pour tout ce qu’elles avaient accompli jusqu’alors et puis plus tard, a senti la motivation de les remettre en mouvement à travers la réalisation de « petites choses inutiles » en couture…), je lui ai lancé , avec un brin d’humour, que je supposais que c’était elle qui était allée pêcher le poisson qu’elle avait pour la première fois recuisiné pour son mari. Une manière délicate de la féliciter en continuant à la freiner… En réponse, Madame a souri et m’a dit « tout de même pas mais je suis allée pour la première fois refaire mes courses seule ». Ce jour -là, elle me confiera que c’est en consultation qu’elle s’est remise à sourire et que ça lui faisait énormément de bien de s’en donner la permission.
J’aime aussi la réaction des couples lorsque je leur vends la tâche de se disputer ou d’imaginer ce qu’ils pourraient faire ou dire pour encore plus aggraver leur relation. Il y a souvent comme « un arrêt sur image », « un blanc » où ils me regardent surpris se demandant si je ne me trompe pas de prescription. De celle-ci, émerge une souplesse comme une douce permission rendant la lutte moins savoureuse. Et on se réjouirait presque de se revoir vite pour « récolter les fruits de la prochaine récolte ».
Je me souviens encore de cette dame (voulant tout contrôler à la perfection au point de ne jamais demander d’aide à son mari tout en se plaignant de son manque de proactivité) qui me confie, toute fière, qu’elle commence à lâcher le contrôle en acceptant que son mari coupe les pommes de terre avec…. la machine à couper le pain… Quelle joie de la voir rigoler d’une situation qu’elle n’aurait jamais imaginée pouvoir vivre quelques semaines plus tôt avec autant de souplesse et d’humour !
Et que dire du pouvoir évocateur de « la métaphore du mille pattes » à qui on demande d’expliquer comment il s’y prend pour coordonner avec tellement d’aisance autant de pattes : une fois qu’il commence à y réfléchir, il s’arrête, n’arrive plus à marcher et se met à… trébucher. J’ai souvent eu l’occasion d’évoquer ce récit, qui peut sembler bien ridicule, mais à chaque fois, il amène un sourire, un rire, un brin d’humour qui est de loin très efficace pour rendre aversives les tentatives de régulation « casses tête » et les intégrer dans le corps et pas seulement dans la tête.
En ce début avril, je vous souhaite de tout cœur, des consultations connotées d’humour…De façon naturelle, il est l’occasion de sécréter les hormones de bien-être, de débloquer pas mal de résistances et d’ouvrir la porte de l’étonnement tant pour le patient que pour le thérapeute.