La presse nous a relayé qu’un des mots les plus utilisés en 2020 est déconfinement… et pourtant, nous avons été plus souvent confinés que déconfinés et le déconfinement total apparaît aujourd’hui encore un horizon sans limites !
Cette occurrence nous révèlerait que lorsque nous vivons une rupture quelle qu’en soit la nature, la plupart du temps , nous espérons revenir à la « vie d’avant ».
D’ailleurs, au printemps dernier, beaucoup d’entre nous percevaient ce brusque arrêt d’une activité parfois frénétique comme un simple répit, contrariant certes, mais allégé par le beau temps, les balades bucoliques, les rues désertées par les voitures, les vidéos gags… Qui se préparait au deuil d’un modèle de vie plus libre et plus contrôlable ?
A présent, il est clair que la crise covid marque durablement la rupture avec cette vie plus abondante que nous pensions peut-être définitivement acquise. Et ce deuil du monde avant covid est particulier car la rupture est souterraine, progressive et ne se déclare pas soudain comme lors de la perte inopinée d’un être cher.
Lors du premier confinement en effet, pour la plupart, le deuil n’avait pas vraiment commencé. Nous étions dans le déni d’une pandémie qui allait durer davantage. L’attente de jours meilleurs, c’était un peu comme dans la maladie, la rupture amoureuse, la perte d’un travail où l’espoir n’est pas mort et la lutte pour récupérer ce qu’on a perdu nous maintient dans l’énergie du combat.
Et lorsqu’on peut savourer à nouveau l’éclaircie de ces jours meilleurs, comme cet été un peu plus libre, l’annonce d’un 2e confinement tombe plus douloureusement encore! Le resserrement des règles, avec le couvre-feu, l’interdiction de quitter le pays et autres restrictions professionnelles ont amené davantage de peur, de désespoir ou de révolte car le mieux estival laissait espérer un « retour à la normale. Ces émotions expriment tout simplement le décalage entre cet espoir et ce qui se passe pour chacun de nous, émotions exacerbées par l’effet « montagnes russes » de l’attente et des promesses de retour à la case départ qui nous empêchent de faire le deuil de ce monde en inéluctable mutation.
Le 2e confinement se vit donc comme la rechute d’une maladie inconnue dont on pensait être débarrassés. Et s’il y a déjà eu quelques rechutes, il y en aura sans doute d’autres, peut-être plus graves qu’une 3e vague, un virus mutant, plus létal, et la menace plus réelle d’autres crises sociales, économiques, écologiques.
Tout le malheur des hommes vient de l'espérance, disait Camus dans « L’homme révolté »
La rupture souterraine avec le monde avant covid affleure progressivement : un monde nouveau émerge dont les contours sont pour certains anxiogènes, pour d’autres désespérants, inacceptables, révoltants. Et c’est là aussi que peut se loger le déni, l’espoir que la vie reviendra vite comme avant, que l’ancien monde n’est pas mort.
C’est comme lorsqu’un couple se sépare et qu’un des deux partenaires voit dans le moindre signe de rapprochement un espoir de reprendre la vie commune. Mais à chaque nouveau signe d’éloignement, la détresse est plus profonde. Ou comme lors d’une rémission de maladie où l’espoir d’être définitivement guéri rendra encore plus cruelle la rechute. C’est aussi comme un couple en désir d’enfant que chaque échec de conception plonge dans un désarroi toujours plus profond.
Les exemples de ces deuils-attentes pourraient être multipliés à l’infini. Le point commun de toutes ces ruptures que l’on croit provisoires, c’est que si nous sommes dans le déni d’une rupture définitive et que nous postposons dès lors sans cesse le processus de deuil, nous rendons chaque nouvelle déconvenue plus douloureuse. Plus l’attente est importante, plus rude encore sera la plongée car le deuil qu’on avait commencé est chaque fois ranimé par l’espoir d’un retour à la situation initiale.
La crise Covid est l’expérience à l’échelle mondiale de toute rupture que chacun expérimente inéluctablement dans la vie : elle nous confronte à notre finitude et au deuil d’une vie que l’on pensait pouvoir contrôler.
Passé la phase de déni, de la colère, comme dans tout deuil, on pourra s’ouvrir au renouveau tout en accueillant la tristesse d’avoir perdu quelque chose ou quelqu’un de cher…
Palo Alto : quelles pistes ?
Dans notre approche Palo Alto, accompagner le deuil de « la vie d’avant » ou d’un espoir de vie différente, on proposera d’imaginer comment serait la vie on était certain de ne jamais être tout à fait déconfiné ni de retrouver son mode de vie d’antan. Et si on étend notre propos à toutes les ruptures, comment reconstruirait-on notre vie en sachant que l’être cher ne reviendra pas, qu’on n’aura pas d’enfant biologique, que notre maladie ne nous lâchera pas, que le lien avec un parent, un enfant est définitivement rompu, que nous ne pourrons pas lutter indéfiniment contre le temps qui passe et nier notre finitude?
Sortir progressivement de la souffrance, du déni, de l’attente et du contrôle et suivre le mouvement de la vague : « tâche » que beaucoup ont spontanément mise en place durant le confinement à travers une multitude d’actions: coudre des masques, aider à la vaccination, repeindre sa maison, se réorienter professionnellement, établir des petits rites en souvenir des chers disparus…
Plonger dans le flot de l’impermanence inhérente à notre condition humaine, apprivoiser les pertes irrémédiables comme le monde d’avant la pandémie, sorte d’éden imaginaire qui n’était d’ailleurs peut-être pas aussi paradisiaque que notre mémoire sélective nous laisse entendre?
Inimaginable? Impensable ? Et si c’était moins douloureux de lâcher prise et d’accepter ces étapes en allant dans le flux de la vie et en explorant les ressources que le monde avant covid avait masquées ?