Les rouges qui ont des symptômes physiques impressionnants, battements cardiaques accélérés, sensation d’étouffement ou d’oppression, impression qu’on va exploser de l’intérieur, les bleues qui conduisent à fondre en larmes, avec un sentiment de vide, voire de chute avec cette impression de vertige à l’intérieur, les noires qui donnent juste envie d’en finir, qui tourne autour des idées de cette même couleur, qui font voir la vie dans ses facettes les plus douloureuses.
Quand un patient consulte, nous allons d’abord explorer avec lui et aller visiter son arc-en-ciel, lui demander de nous expliquer comment sont ses crises à lui ? Sachant que même si pour une étude, on peut éventuellement les classer, dans la vraie vie, c’est assez peu intéressant. Notre posture d’anthropologue va davantage nous conduire à comprendre la spécificité de ce qui fait souffrir chacun et en l’occurrence, quand il s’agit de crises d’angoisse, nous cherchons à connaître les déclencheurs, les symptômes physiques, les sensations, les émotions qui traversent notre patient et sa manière d’y réagir. Bien évidemment, nous cherchons aussi à savoir s’il a mis en lumière des réactions plus efficaces que d’autres.
Philippine consulte et nous allons ensemble chercher à mieux les connaître. Elle repart en fin de première séance avec une tâche d’observation : elle doit tenter d’observer tous les éléments cités plus haut pour me ramener le maximum d’informations sur son angoisse. Je lui demande de noter systématiquement à chaque fois qu’elles viennent.
Elle me répond qu’elles ne viennent plus trop depuis qu’elle s’abstient d’aller dans les lieux qui les déclenchaient : cinéma, salle de cours à l’université et parfois restaurant. Tous les lieux publics où ce serait « se taper trop la honte » que de partir en crise, elle les évite et cela la soulage pas mal. Le problème, c’est que de s’empêcher d’aller au ciné ou au resto, c’est possible, mais quand on est étudiant et qu’on ne peut plus aller aux cours, c’est plus ennuyeux, surtout à l’approche des examens. Elle risque d’avoir quelques difficultés à réussir son année qui pourtant lui tient à cœur.
Afin de pouvoir me ramener des infos de crises d’angoisse en live, je lui demande d’aller suivre quelques cours et de rester au moins vingt minutes en crise d’angoisse en notant tout ce qui se passe et ensuite de quitter le cours. Elle me dit qu’elle est d’accord, qu’elle s’assoira sur le côté pour sortir facilement. C’est déjà plus envisageable pour elle.
Elle me contacte par sms avant le rendez-vous suivant très ennuyée et elle m’écrit : « Bonjour Madame, je n’arrive pas à avoir les informations que vous m’avez demandées, car malgré mes tentatives et le fait d’aller au cours, je n’en ai plus eu. Je me suis même assise au milieu de l’auditoire (amphi pour nos lecteurs français) et je suis restée deux heures sans succès ! ». A ce message, je réponds que c’est bien ennuyeux et qu’il faut qu’elle poursuive afin de revenir avec quelque chose et nous décalons le rendez-vous suivant d’une semaine.
Elle revient et ne comprend pas, ni au cinéma où elle est courageusement allée, ni au restaurant… les crises d’angoisse ne se pointent…
Philippine est une jeune fille qui a véritablement changé son comportement face à ses crises d’angoisse. Plutôt que de les éviter à tout prix en se disant « il faut à tout prix que je n’en ai pas !! », ce qui est plutôt générateur d’angoisse comme on peut l’imaginer. Elle était prête à les affronter. Elle a donc rapidement vécu cette expérience émotionnelle que nous cherchons à provoquer chez nos patients en leur permettant d’aborder autrement leur problème d’angoisse. Et forte de ces situations sans angoisse, elle a spontanément élargi ses confrontations aux déclencheurs des crises et du coup, elle a élargi ses compétences à traverser des contextes auparavant anxiogènes.
D’autres patients reviennent après cette tâche d’observation avec quelques exemples de crises d’angoisse plus ou moins minutieusement observées. C’est le cas de Jeanne qui me revient avec des situations d’angoisse à l’endormissement. Elle se sent envahie et débordée par la crise de manière quasi systématique. Chaque soir, elle espère y échapper, mais, sauf exception, elle doit y faire face.
Comme pour Philippine, on retrouve ce réflexe tellement naturel de vouloir y échapper, de « pourvu que » en j’évite le déclencheur, ce réflexe que nous appelons une tentative de régulation. Ce terme du jargon de la thérapie brève désigne une réaction qui aurait pu calmer le problème, mais qui malheureusement le maintient.
Pour les crises d’angoisse, c’est assez évident de l’extérieur que le fait de s’angoisser à l’idée du risque même d’avoir une crise génère l’embryon de crise et suffit à la déclencher.
A Jeanne, je vais ensuite demandé de générer elle-même la crise, elle va lui donner un petit nom et pourra ainsi l’appeler pour reprendre le contrôle. Je compare souvent la cirse d’angoisse à un monstre qui loge au fond d’une caverne et qui vient surprendre le patient, parfois à n’importe quel moment inattendu, parfois dans des moments où il sait que la personne est plus fragile, au coucher par exemple…
Jeanne va donc le convoquer et appeler Minou (le nom qu’elle a choisi). Elle va le faire venir à certains moments qui lui conviennent mieux et bine entendu quand Minou se pointe de lui-même, elle pourra l’encourager et lui dire qu’elle est contente de mieux le connaître, de peut-être comprendre ce que Minou veut lui raconter ou de quoi il cherche à l’alarmer…
On retrouve le positionnement d’affrontement et Jeanne va rapidement voir Minou être aux abonnés absents lorsqu’elle tente de créer la crise d’angoisse et se faire plus calme et nettement moins envahissant ou douloureux au moment du coucher.
On retrouve un mouvement bien connu de la pleine conscience : accueillir plutôt que lutter, laisser venir plutôt qu’éviter. Il est plus dans l’action car on va même encourager et provoquer la crise pour, d’une certaine manière, reprendre une forme de contrôle.
Quand Jonathan, 40 ans, vient me voir, il a déjà consulté plusieurs psy. Il est découragé car ses angoisses reviennent malgré quelques améliorations de courte durée. Il les connaît bien et peut me les décrire de manière assez fine. D’autres lui ont déjà demandé de les observer, de connaître les contextes qui les déclenchent et son dernier suivi en thérapie cognitivo-comportementale l’a déjà pas mal aidé en l’amenant à affronter ces contextes pour apprendre à gérer l’angoisse.
Malheureusement, il les affronte et parvient à dépasser sa peur pendant un certain temps, mais elle revient d’une manière fine et l’amène à une posture où il affronte car il sait qu’éviter aggrave le problème, mais s’il affronte effectivement la situation, c’est en tentant d’éviter l’angoisse elle-même et malheureusement, il se retrouve donc à affronter pour éviter de ressentir l’angoisse. Celle-ci, une fois de plus, se nourrit de la peur qu’elle provoque chez lui et revient donc quoi qu’il advienne.
Avec Jonathan, je vais donc travailler sur le fait de distinguer affrontement du contexte et affrontement de la sensation de la crise. Je vais lui demander d’y aller et de ressentir cette angoisse, de la laisser le traverser et même rester un peu à l’intérieur pour mieux connaître cet ennemi et voir ce dont il lui parle.
En utilisant l’hypnose et les sensations, Jonathan va pouvoir se laisser aller à ressentir l’angoisse et à affronter ses sensations et pas uniquement le contexte anxiogène.
Il me semble important de distinguer les différents degrés d’angoisse, les possibilités pour chacun d’affronter ou de fuir, les expériences précédentes qui renforcent l’angoisse ou le courage de chaque patient. Chaque cas est vraiment unique et notre travail est toujours sur mesure. Cette précision en fait l’art au-delà des techniques et ce sont nos patients qui nous l’apprennent… écoutons les vraiment, observons-les afin de les accompagner chacun à partir de là où ils sont pour les conduire où ils veulent aller… et si l’angoisse les accompagne, aidons les à en faire une compagne de route supportable plutôt que de vouloir l’évacuer à tout prix !