Jules me consulte car il se sent coupable… il a trompé sa femme, il l’aime, dit-il en pleurant. Il le regrette tellement… « elle m’a pardonné, elle comprend que mes sentiments sont toujours aussi forts », mais il sanglote.
Je me sens touchée et j’ai envie de lui dire que ce n’est pas grave, que ça arrive et que si elle a pardonné, il faut tourner la page…
Ce serait tentant d’essayer de le « consoler », mais quand on travaille avec notre approche, on se pose d’abord la question suivante : comment « gère-t-il » sa culpabilité et comment son entourage réagit-il ?
Julie prend rendez-vous pour être aidée dans une situation professionnelle délicate. Elle s’est énervée sur une collègue et se sent mal, un peu honteuse et très coupable. Elle rumine cette culpabilité, fuit la collègue en question et se sent de plus en plus lamentable…
La culpabilité n’a vraiment pas bonne presse ! Les médias nous disent de s’en débarrasser, de surtout éviter de la ressentir… et pourtant…
Jules et Julie vont m’expliquer tous les deux qu’ils se raisonnent, essaient de minimiser les dégâts dans leur tête afin de diminuer ce sentiment désagréable. Leur entourage intervient également dans ce sens-là, surtout pour Jules à qui l’on dit qu’il doit repartir sur de bonnes bases dans son couple. Julie en a peu parlé, son frère est son seul confident et a tendance à minimiser pour l’aider à se sentir mieux… ce qui ne fonctionne pas très bien.
Très régulièrement, dans ma pratique, la culpabilité est exprimée qu’elle soit juste à mes yeux, excessive ou même trop peu présente, mon avis a peu d’importance sur le degré de faute commise. Le seul juge est la personne qui se condamne elle-même. Partant de ce principe, je lui propose de jouer au juge jusqu’au bout.
« Savez-vous à quoi sert la culpabilité ? », une question que je pose souvent à la personne qui s’auto-critique au quotidien. Et la plupart du temps, la réponse est floue, voire fuyante… à rien… à se faire du mal…
Je repars d’un exemple personnel en disant : « imaginez que je donne une gifle à ma fille (j’ai parfois droit à un regard horrifié) et qu’ensuite, je me sente coupable (soulagement de mon interlocuteur)… » A quoi cela pourrait-il bien servir ?
Et là, on arrive sur l’utilité de cette émotion détestée entre toutes : « cela peut vous permettre de vous excuser auprès d’elle… » Exact ! Notre culpabilité nous dit que nous avons posé un acte qui va à l’encontre de nos valeurs et qu’il faut réparer.
Mais encore ?
Elle nous permet aussi de ne pas répéter ce qui n’est pas juste pour nous.
La culpabilité est donc terriblement utile dans une vie en société. Imaginez seulement quelques minutes une société où elle n’existerait pas…
Quand quelqu’un se sent coupable, je lui accorde le pouvoir de se juger s’il peut repérer quelle est la valeur qui a été bafouée chez lui, s’il peut valider que cette valeur lui appartient effectivement, qu’il ne souffre pas d’une culpabilité apprise par rapport à une valeur à laquelle il n’adhère pas.
Souvent, je vais lui demander de prendre un moment chaque jour, pendant une heure pour écrire tous les reproches qu’il se fait sans penser à rien d’autre pendant cette heure. S’il me dit qu’une heure, c’est long, je lui dis qu’il me semble qu’il faudra bien ça pour noter tout ce qu’il rumine sans arrêt. Je lui demande aussi de regarder ses reproches en face et de voir quelles valeurs ont été bafouées et enfin, je lui propose de voir comment il peut « réparer » la faute qu’il juge avoir commise. Il est son juge et peut donc se condamner à une peine et à une réparation en fonction de l’acte commis.
Une autre manière d’utiliser à bon escient notre culpabilité est de chercher comment ne pas reproduire ce qui s’est passé, de transformer en apprentissage l’expérience pénible afin d’en sortir plus fort pour faire face à l’avenir.
Cela semble un peu rationnel ou un peu dur, peut-être, mais c’est beaucoup plus apaisant pour la personne qui s’en veut de chercher finalement à réparer le mal qui aurait été fait que de continuer à se flageller inlassablement. Elle reprend du contrôle sur la situation et repasse dans le processus, dans la vie plutôt que de rester dans ses pensées et ses prises de tête. Parfois, même après réparation, un résidu de culpabilité pas toujours agréable flotte encore mais si la personne arrête de lutter et l’accepte comme un rappel de ce qui ne correspond pas à ses valeurs, elle en fera une ressource.
Plutôt que de faire comme l’entourage, de tenter de minimiser, de raisonner ou de calmer la culpabilité, nous proposons donc à nos patients ou nos coachés de l’écouter, de lui donner une place, de la regarder en face et d’en faire quelque chose… Malheureusement se convaincre qu’on ne doit pas ressentir une émotion fonctionne rarement et l’écouter est généralement plus efficace et n’oblige pas nos émotions à hurler de plus en plus fort !
Jules et Julie ont posé des actes qui les amènent à se sentir coupables. Quant à Gaëlle, elle s’en veut de ses pensées, elle est amoureuse de son voisin qui est marié. Elle-même est en couple également et trouve inacceptable d’avoir des pensées et même du désir pour un autre homme que son compagnon.
Avec Gaëlle, je travaille autrement. Je lui demande dans un premier temps si elle aimerait penser davantage à son compagnon qu’à son voisin si mignon, si elle souhaiterait que son désir aille vers celui qui partage son lit plutôt que celui qui habite à côté. Elle ne réfléchit pas longtemps et répond « évidemment !!! Ce serait beaucoup plus sain et vraiment mieux pour tout le monde ! Au moins, je ne serais pas une mauvaise femme ! »
Je lui demande si elle peut choisir alors de penser et de désirer son compagnon. Elle me répond que non avec un air surpris, probablement en train de se dire que je ne comprends vraiment rien au fonctionnement humain !
Cette question est évidemment un recadrage. Cela me permet d’enchainer sur le fait qu’elle n’a donc pas le choix ! Cela semble plus fort qu’elle !
« Evidemment ! », me dit-elle légèrement agacée par mon manque de vivacité…
« Je ne comprends pas bien alors en quoi vous êtes coupable si vous n’avez pas le choix… » dis-je d’un air innocent.
Et Gaëlle ne dit plus rien, un peu saisie… et puis : «et bien, je ne voyais pas ça comme ça… », un peu scotchée de cette logique peut-être basique, mais assez réaliste…
Comment peut-on être responsable et donc coupable de quelque chose qu’on ne contrôle pas et qu’on souhaiterait même différent ?
Beaucoup de patients sont sortis soulagés par ce recadrage et ont pu accepter davantage ce qu’ils ressentaient et cesser de lutter contre des pensées, un désir ou une émotion qu’ils ne choisissaient pas et dont ils se blâmaient comme s’ils en étaient effectivement responsables.
Nous sommes responsables de nos actes, mais pas de nos émotions, de nos sensations ou de nos pensées. Laissons-les donc aller où elles veulent plutôt que de les renforcer en luttant le plus souvent vainement à leur encontre.
Rendons donc à César ce qui est à César et que notre culpabilité soit liée à une véritable responsabilité, cette responsabilité que nous aurons alors également pour réparer l’erreur commise et pour en éviter la répétition…
à moins que le plaisir soit plus grand que la faute… ;-)