Un mois qui s’ouvre sur la fête des morts, qui voit l’or des arbres s’affaler en tapis brunâtres, et que les Finlandais, pourtant coriaces, appellent « marraksu », « mois des journées courtes et grises », un tel mois prête-t-il à la joie ?
C’est précisément le moment où le concept est le plus intéressant à creuser!
Au onzième mois de l’année, on ne s’attend ni à des apéros au soleil, ni à de longs congés, ni à un avantageux teint hâlé, ni même à la chaleur de Noël.
Et, dans le fond, c’est un atout, car la joie ce n’est pas le bonheur. La joie n’a pas besoin que tout aille bien pour s’ébrouer. Vous l’avez d’ailleurs déjà sentie poindre aux moments les plus inattendus, juste derrière une vague de larmes ou un pic de colère, alors que les raisons de pleurer ou de tempêter n’avaient pourtant pas disparu.
C’est que la joie est un peu fêlée. Elle ne raisonne pas, ne vérifie pas si les conditions sont bonnes pour apparaître. Elle n’attend pas que l’examen soit réussi, la maladie domptée, l’amoureux retrouvé. C’est sa force et sa grâce de ne s’accrocher ni aux regrets d’hier ni aux attentes inassouvies. Elle surgit dans ce qui est là. Juste là. Sous l’azur d’août comme sous le gris de novembre.
Rien ne nous interdit bien sûr de la cultiver, chacun selon sa recette personnelle de mouvement, de nature, de lien social… Mais elle ne viendra que si elle le veut.
En thérapie brève - où on adore les chemins à 180° - on la rencontre plus souvent qu’à son tour après avoir convoqué ses consoeurs Peur, Colère ou Tristesse. Parfois réprimées depuis longtemps derrière nos barrages personnels, ces autres émotions ont besoin d’une chose pour que le flux de la vie reprenne: pouvoir s’écouler jusqu’à la dernière goutte. Et il arrive que Joie profite de la brèche.
Ce jour de novembre, après avoir puisé toute la séance dans le paquet de mouchoirs de mon cabinet, Dominique enfile son manteau les yeux gonflés, noue son écharpe et sort une blague qui nous fait rire toutes les deux. Petit miracle de la synchronicité, un rayon de soleil juge bon de souligner l’événement, emplissant l’espace d’une chaleur inattendue.