Tout au long d'un suivi et lors d'une séance, nous sommes amenés, en tant que thérapeute systémique stratégique, à être sans cesse en mouvement... Parce que, ouverts et attentifs aux interactions que le client entretient avec lui-même et son environnement, nous veillons, de façon continue, à nous adapter... Parce que se dessine aussi un subtil mélange entre ce qui se passe en dehors de nous et « au dedans ».
Alterner la position basse et la position haute en fonction des étapes du processus d'accompagnement et rejoindre la personne dans sa logique pour ensuite la « contrer », met en évidence cette ressource du thérapeute que de pouvoir s'ajuster et dès lors, être en mouvement.
Lorsque nous posons des questions dans le but de saisir la nuance des boucles interactionnelles, nous allons nous arrêter à des détails, qui sont des « informations qui créent la différence » et, petit à petit, nous allons prendre du recul pour saisir le message commun aux tentatives de régulation et ainsi en trouver le thème...
Nous passons alors du détail à une composition d'ensemble...Nous captons la dynamique du problème en étant nous-même dynamique...
Avec nos outils bienveillants et stratégiques , nous explorons comment le système est bloqué par « toujours plus de la même chose » et nous lui permettons de retrouver une nouvelle fluidité.
Parce que c'est aussi de mouvement dont il s'agit lorsque, le thérapeute recule de quelques pas pour percevoir quels sont les éléments du système pertinent qu'il pourrait être intéressant de mobiliser afin d' aider le client à ressentir moins de souffrance.
Et quand le thérapeute, du haut de sa réflexion, a repéré ses propres tentatives de régulation et prend conscience que lui aussi peut être amené à cultiver et maintenir le problème, il est loin d'être figé et immobile !
Aujourd'hui, c'est sur ce mouvement de prise de recul sur le système pertinent (et donc aussi sur moi-même en tant que thérapeute ) que je voudrais m'arrêter un instant.... Puisque parfois il s'agit de s'arrêter pour mieux repartir ensuite....
Le système pertinent correspond à l'ensemble des différentes personnes concernées par le problème et impliquées dans la recherche d'une résolution de celui-ci. Repérer ce système pertinent est essentiel afin d'orienter notre travail de manière stratégique.
Et si cette façon de travailler avec le système est essentielle, c'est lorsque je me sens coincée dans une situation, que je perçois parfois à quel point je ne suis pas allée assez explorer le système relationnel pertinent...
Je repense à un couple de parents qui vient me voir fin février.
Leur fils, Mathéo, a 12 ans et devrait être en première secondaire mais a doublé et est en sixième primaire. Il est suivi depuis deux ans par une logopède, depuis 1 an par une neuropsychologue.
Le diagnostic de trouble de l'attention a été posé avec une invitation à prendre des médicaments. Les parents s'y sont opposés.
« Comme nous sommes contre les médicaments et que c'est compliqué avec Mathéo, on se dit que ce serait peut-être bien d'aller voir quelqu'un pour nous car on n'en peut plus ! On ne veut pas non plus lui imposer encore un spécialiste en plus ! »
Me voilà face à des parents clients en souffrance et en demande d'aide pour faire face et accompagner leur enfant unique... Madame, aide-soignante en hôpital, avait déjà entendu parler de l'approche par sa chef de service.
Mathéo en arrive à frapper sa maman, à lui dire des méchancetés qui la blessent énormément lorsque le temps des devoirs se passe mal et lorsque qu'il est face à des frustrations. Monsieur n'intervient pas dans le domaine de la scolarité sauf pour aller conduire Mathéo à ses rendez-vous. Il estime que son épouse est plus experte en la matière que lui. Quand ce genre de crise arrive, il a plutôt tendance à fuir pour trouver le calme.
Madame ne se sent pas soutenue par monsieur et elle lui reproche d'être uniquement présent pour passer les bons moments avec Mathéo ou de lever les règles qu'elle a, elle-même, mises en place.
Dans ce contexte, ils souhaiteraient tous les deux que les conflits familiaux diminuent.
Madame a peur que son fils échoue de nouveau et est toujours derrière à le pousser à travailler et à lui en demander toujours plus en rajoutant des exercices supplémentaires... Elle a peur que son mari ne se contente que du minimum et ne lui soit donc d’aucun soutien.
Si le début des devoirs se passe bien, après 20 minutes environ, Mathéo ne sait plus se concentrer et ne veut plus travailler. Cependant, madame ne tient pas compte des signaux de fatigue de Mathéo et continue à refaire des exercices, à vérifier s'il a compris et c'est à ce moment-là que la violence verbale et parfois physique arrive.
Plus elle veut être rassurée par le fait que son fils a compris la matière et plus elle continue à vérifier, plus Mathéo s'épuise, répond à côté de la plaque, se ferme et la traite de tous les noms ce qui la rassure encore moins .... »
Le pire pour madame est que son fils soit « un bon à rien », qu'il n'ait aucun diplôme valable lui permettant de s'épanouir, qu'il soit sans projet de vie. Et si c'était le cas, madame imagine qu'elle serait gênée de son fils et que leur relation se dégraderait au point même d'être coupée.
« Je peux comprendre vos peurs de maman qui sont légitimes et en même temps, j'ai l'impression qu'en étant toujours derrière lui, à tout vérifier et anticiper vous ne l'aidez pas à développer ses propres ressources... ressources dont il aura besoin pour la suite en secondaire. De plus, indépendamment du domaine scolaire, j'ai l'impression que pour l'instant il a l'habitude que vous soyez toujours derrière lui et je crains que ça ne lui apprenne pas à explorer par lui-même, à développer son autonomie et dès lors à être fier de ses réussites et à se responsabiliser de ses échecs.
En continuant comme cela, j'ai peur aussi que votre relation avec Mathéo se dégrade de plus en plus. Je crains que vous ne soyez plus qu' une simple assistante à ses yeux... assistante sur qui il ne cesse de se reposer avec le risque qu'il vous considère de moins en moins au point d'en devenir indifférent (...comme un médecin peut l'être parfois vis à vis d'une aide-soignante... ).»
C'est en mettant le doigt sur l'autonomie que Mathéo risquait de ne pas développer et sur le risque de perdre la relation que madame a pu cheminer. Elle a pu prendre du recul au niveau de la manière de gérer les devoirs tout en permettant aussi à monsieur de prendre sa place dans la scolarité de Mathéo en accordant davantage de temps à la compréhension des consignes et au français. Monsieur, lui, fut surtout sensible au fait de pouvoir récupérer des temps de qualité avec madame et de faire équipe avec elle plutôt que d'être adversaires. Ensemble, ils se sont aussi mis d'accord sur un minimum de règles à faire respecter et à maintenir pour que Mathéo perçoive une cohérence entre ses deux parents... lui qui savait bien quelle clé mettre dans quelle serrure...
Si madame était encore responsable des devoirs dans certaines matières, elle ne corrigeait plus les fautes de son fils afin que l'institutrice perçoive les difficultés et puisse y remédier en classe... De plus, elle a appris à fixer ses disponibilités pour les devoirs dans un intervalle de temps qui lui convient à elle et ce fut à son fils de s' adapter. Elle a fait aussi le point sur ce qui était de son contrôle et ce qui ne l'était pas.
A vous, chers lecteurs, si vous en êtes arrivés à cet endroit de l'article, c'est que vous avez lu mon introduction sur le mouvement et l'importance du système pertinent.... Et dès lors, peut-être vous dites-vous à l'instant : « Pourquoi Clotilde a-t-elle choisi cette situation en particulier ? »
Parce qu'alors qu'un équilibre plus sain était trouvé au sein de ce système, quel ne fut pas mon étonnement de retrouver madame, lors de la quatrième séance, complètement désemparée !
En prenant le temps d'explorer, j'ai compris que l'intervention de la logopède, à l'approche du CEB, était allée dans une toute autre direction que celle travaillée avec moi.
La logopède avait souhaité que Mathéo s'entraîne à répondre aux questions des questionnaires des années précédentes. Et elle confia le rôle à madame de veiller à contrôler que les exercices soient bien exécutés avant chacune des séances. Toujours en apprentissage d'un lâcher prise, cette demande a déstabilisé madame qui se sentait complètement perdue sur ce qui était bien de faire ou pas.
Dans ce cas, effectivement, c'est essentiel de vérifier que les praticiens communiquent ensemble pour pouvoir être plus congruents et stratégiques et que les patients eux aussi ressentent une cohérence et donc plus de confiance dans leur cheminement vers le changement.
En prenant contact avec la logopède, j'ai pu expliquer le sens du travail réalisé et les cercles vicieux qui se transformaient petit à petit en cercles plus vertueux...
Et c'est ainsi qu'elle a pu aussi diriger ses interventions où ce fut à Mathéo de choisir ou non de faire certains exercices du CEB des années précédentes en soulignant et en cherchant avec lui quelles pourraient être les conséquences positives et négatives sur le court et long terme des deux alternatives qui se présentaient à lui. Et avec cette jeune logopède, ce fut aussi un chouette échange pour travailler ses peurs à elle si son « petit patient » ne réussissait pas son examen...
Je vous souhaite d'explorer pleinement toutes les richesses d'un système relationnel pertinent et des interventions signes de 180° car... qui dit Virages.... dit mouvement !