La psychologie, c’est comme la mode.
Il y a des tendances et des influences.
Il y a 30 ans de cela, des milliers de femmes américaines « découvraient » sous hypnose l’existence d’inceste refoulé et se lançaient de manière effrénée dans des psychanalyses .
Il y a 15 ans, les troubles bipolaires étaient très « in ».
Actuellement, la tendance branchée est aux « HP (1)- PN- TDAH-Dys-Surchargésmentaux- et burnoutés familiaux ».
On ne compte plus les parents qui énoncent avec fierté que leur enfant « est HP » ( sous entendu « plus intelligent »), ou avec effarement qu’il est victime de troubles de l’attention, les burnout affichés dès qu’il y a épuisement, les personnes étiquetées perverses narcissiques.
Que fait-on de tout cela en thérapie brève ( heu...pardon : en TB)?
Nous avons l’habitude d’enseigner le fait que nous dés-étiquetons.
Pourquoi?
Car selon nous, les étiquettes sont de nature à créer des prédictions auto-réalisantes qui sont en tout cas limitantes, voire parfois dangereuses.
Pour soi et pour les autres, dans les deux sens de l’interaction.
1. D’une part il y a l’effet du regard des autressur les personnes et sur l‘interaction qu’ils créent avec elles. Il s’agit durapport de soi et des autres
Il s’agit de l’effet Rosenthal (2)
Le regard que les autres portent sur nous a une influence directe sur les interactions qu’ils génèrent etsur nos résultats, car ils créent à leur tour des croyances chez nous.
A cet égard, les légendes familiales sont parlantes : « le bosseur », « le paresseux », « le raté de la famille », « le matheux », « celui qui n’a pas de chances » : autant d’images qui sont souvent enfermantes et qui finissent par créer des réalités.
Quoi que la personne fasse, elle restera enfermée sous le prisme dans lequel elle est étiquetée : « c’est un pervers narcissique, s’il fait cela, c’est par calcul et pour te manipuler »
Il en va de même avec les étiquettes psychiatriques : la maniaco-dépressive, l’hyper sensible, le pervers narcissique, l’hypocondriaque, l’hyper actif.
La personne est décodée comme étant « celle de l’étiquette » et tout ce qu’elle fera sera pris comme une confirmation de son état. Wazlawick décrit d’ailleurs dans une histoire tristement célèbre le fait de deux ambulanciers qui sont venus prendre une personne pour l’enfermer dans un hôpital psychiatrique. La personne se débattait violement, en hurlant qu’elle allait bien et que c’était une erreur. Plus elle se débattait, plus les ambulanciers étaient convaincus de signe de sa démence
Jusqu’au moment où le psychiatre est descendu et leur a dit qu’ils s’étaient trompés de personne…
2 . D’autre part, les étiquettes génèrent un rapport entre soi et soi, qui influe ensuite l’interaction avec les autres
La croyance que la personne a d’elle-même va directement influencer son propre décodage, et ensuite son comportement dans la vie et dans ses relations avec autrui.
Il en va de toutes les croyances issues de la vision du monde « j’ai de la chance / je n’ai jamais de chance, tout le monde est contre moi, je serai puni si je fais cela »
Il en va encore davantage de celles issues des étiquettes « psychologiques », qui génèrent des croyances et des réalités : « je suis un dépressif chronique, je suis une victime, j’ai des troubles de l’attention... ». Autant d’affirmations qui influencent les relations que l’on peut construire au monde
Les étiquettes peuvent donc être dangereuses.
Combien d’enfants dits hyperactifs sur-médicamentés ont cessé de « l’être » lorsque leurs parents ont modifié l’interaction et arrêté de vouloir les faire travailler de force à la maison sans pouvoir se détendre (3) ? Si l’on se réfère à une des dernières versions en projet du DSM, on est « dépressif » lorsqu’on pleure la mort d’un proche plus de quelques mois…. Va-t-on « soigner » des gens tristes au-delà de ces mois-là ?
Que faire alors avec ces étiquettes ?
Surtout, compte tenu du fait qu’on ne peut pas empêcher les gens de penser ?
Est-ce à dire que nous les réfutons ? Que nous nous y opposons ? Que nous sommes dogmatiques et que nous ne pensons qu’aucune de ces appellations ne correspond à la réalité ?
Non. Absolument pas.
Car cela signifierait que nous estimons que notre réalité est plus juste que celle des autres.
Ce qui constituerait un triste paradoxe pour les défenseurs du constructivisme (4) que nous tentons d’être.
Au nom de ce constructivisme précisément, nous savons également que notre approche consistant à essayer de sortir des étiquettes, de les assouplir, ne constitue qu’une vision de la réalité.
Car en effet ….
L’expérience avec mes patients m’a montré a contrario que parfois, des étiquettes sont très aidantes.
Car s’il est vrai que l’appellation HP (haut potentiel) est galvaudée, il n’en reste pas moins qu’un certain pourcentage de la population pense d’une manière différente - plus « en réseau » par association d‘idées- et est capable d’un niveau d’abstraction de type logico- mathématique différent et plus rapide que la moyenne.
Ce type d’intelligence est par ailleurs statistiquement souvent associé une hyper- sensibilité émotionnelle qui rend plus difficile que la moyenne la gestion des émotions, comme si l’équilibre global s’effectuait davantage par contrastes.
Et certains patients sont très polarisés sur ces deux aspects et donc en souffrance car ils ont des difficultés à s’intégrer dans le système scolaire classique (5) et à nouer des interactions sociales positives. Découvrir des livres sur les hauts potentiels en a aidé plus d’un : j’ai ainsi vu plusieurs personnes relater avec émotion combien elles ont été soulagées de découvrir qu’elles ne sont pas seules dans le cas, combien elles ne sont pas « anormales », combien mettre des mots les ont apaisées et les ont fait sortir de la honte, et combien ça leur a permis d’accepter et modifier leurs interactions et rapport au monde plutôt que de lutter contre ou subir.
De la même manière, nous ne pensons pas que l’on « naisse » pervers narcissique (que les personnes le soient de manière ontologique ou génétique puisqu’il s’agit d’une stratégie acquise face à un environnement), ni que l’on « soit » pervers narcissique dans l’absolu, car c’est toujours interactionnel et cela suppose une relation avec une personne qui y participe.
De surcroît, le terme est plus que galvaudé, avec des personnes cataloguées souvent à tort
Il n’en reste pas moins qu’il existe une série de personnes qui génèrent des comportements extrêmement toxiques à l’égard d’autres plus fragiles, et que ceux–ci fonctionnent souvent de manière redondante : séduction puis jeu du manque, puis isolement de la personne, puis remarques et emprise etc, et qui répètent ce type d’interactions.
Être au fait de ce type de comportement, les comprendre, permet de mieux les repérer, et donne la possibilité soit de ne pas entrer dedans, soit d’en sortir plus facilement.
En ce sens, la connaissance des comportements de ce type de personnes -qui ont été étiquetées dans des ouvrages- est très aidante.
Quelle est notre position alors ?
En tant que praticiens de Thérapie Brève, nous ne sommes ni « pour » ni « contre » les étiquettes.
Pour nous, elles ne sont pas particulièrement importantes, voire pas importantes du tout en soi.
Nous les appréhendons différemment : elles sont tout sauf une manifestation de la vérité ; elles constituent une représentation du monde.
Logique : un des fondements de notre approche stratégique est le constructivisme.
Elles constituent donc une informationqui nous éclaire sur la vision du monde des personnes.
C’est la raison pour laquelle nous ne nous y arrêtons jamais. Face à une personne qui parle de son « boss pervers narcissique », nous allons lui demander de nous expliquer concrètement la manière dont se déroulent les interactions : que fait-il ? Et lorsqu’il fait cela, comment réagissez-vous ? Et cela fonctionne ou pas ?
Peu importe pour nous que la personne « soit » pervers narcissique comme affirmé, ou pas du tout. Ce qui nous importe est le regard que notre patient porte dessus, qui influence la manière dont l’interaction dysfonctionnelle est alimentée, et ce qu’il va falloir introduire comme mouvement à 180°
Car pour qu’il y ait manipulation, il faut un « manipulateur » et un « manipulé »
Il en va de même pour des rackets, des difficultés à effectuer du travail scolaire avec des enfants, des personnes qui prennent trop en charge : il faut un (ou plusieurs) racketteur et un racketté, un enfant et un parent – excédé-, une personne qui prend en charge et d’autres qui se laissent porter.
Et dans l’approche stratégique, nous considérons qu’il suffit de modifier un des éléments du système pour que le système entier soit modifié : nous allons travailler avec la personne qui est le plus en souffrance et la plus demandeuse de changement (le client), et modifier ses interactions.
Ce sera souvent la victime dudit manipulateur, le racketté, la personne épuisée, le parent dépassé.
C’est avec cette personne, indépendamment de toute étiquette,que nous allons intervenir pour lui permettre de sortir de ses tentatives de régulation et retrouver du choix ou du confort.
En thérapie brève, nous allons donc souvent tenter de rendre les étiquettes auto-biodégradables : les assouplir, les traduire en interactions, pour permettre à la personne cliente de modifier son regard et ensuite son positionnement.
Si elles sont positives et aidantes, nous les validons et les soutenons.
Lorsqu’elles sont enfermantes et génératrices de prédictions auto-réalisantes, nous les assouplissons.
Dans tous les cas, nous les utilisons.
Car « stratégiques » nous nous étiquetons !
(1) « HP » : Hauts potentiels
« PN » : Pervers narcissiques
« TDA (H) » : Trouble du Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité
« Dys » : terme générique pour les dys-calculiques- dyslexiques- dys-orthographiques,
« Surcharge mentale » : Nicole Brais de l'université de Laval au Canada donne sa définition de la charge mentale. Pour elle, il s'agit du "travail constant et incontournable de gestion, d'organisation et de planification de la bonne marche de la maison et qui a pour objectif la satisfaction des besoins de chacun ». Dénoncé comme étant une surcharge qui incombe essentiellement aux femmes malgré l’apparente répartition des tâches matérielles entre les sexes.
Burnout familial : extension du concept du burnout professionnel, et dénomination qui recouvre les cas où « une famille est soumise à un stress répété et à un excès de sollicitations physiques, émotionnelles et cognitives, au point d'être épuisée tant physiquement que psychologiquement. Tous les membres de la famille vont être atteints par ce stress nocif à des degrés divers pouvant aller jusqu'à des dysfonctionnements psychologiques. »
(2) L'effet Pygmalion (ou effet Rosenthal & Jacobson) est une prophétie autoréalisatrice qui provoque une amélioration des performances d'un sujet, en fonction du degré de croyance en sa réussite venant d'une autorité ou de son environnement. Pour mémoire, un test avait été effectué auprès de plusieurs professeurs qui enseignaient à des classes de même niveau : certains avaient reçu comme information qu’ils avaient des élèves brillants et d’autres, des élèves médiocres. Les résultats ont été à l’avenant : la classe du professeur convaincu d’avoir des éléments fort est devenu performante, et l’autre à la traîne. Le regard porté par le professeur a influencé son positionnement, son interaction et le résultat sur les élèves.
(3) Voir à cet égard l’édifiant livre du psychiatre Patrick Landman « Tous hyperactifs ?» qui dénonce de manière étayée l’hyperinflation des sois disant dépistages d’hyper actifs et la médicamentation toxique et abusive qui en résulte.
(4) Constructivisme : Selon lequel il n’existe pas une vérité absolue, mais diverses réalités, qui sont construites par chacun en fonction de ses apprentissages et de sa vision du monde.
Chacun des éléments de notre vie (objets, événements, actions, personnes, vécus) comportent des réalités de deux ordre :
la réalité de premier ordre : les éléments factuels ( une chaise- une rixe- une attitude)
la réalité de second ordre : qui constitue la manière dont on décode et l’on connote cet éléments factuel : la chaise est accueillante, la rixe dangereuse, l’attitude agressive
(5) voir à cet égard le livre passionnant d’Idriss Aberkane « libérez votre cerveau », qui parle de l’inadaptation du système scolaire actuel, incapable d’intéresser les personnes curieuses