Dans notre approche, dite modèle de Palo Alto ou approche stratégique, nous avons l’habitude de chercher à comprendre comment le système en place fonctionne. Et quand nous sommes face à un problème, comment le problème fonctionne. Quelles sont les interactions qui l’entretiennent afin de les changer, de ne pas permettre qu’elles se poursuivent et continuent de l’entretenir.
Le problème est un peu comme un feu qui brule et que l’on voudrait éteindre. Quelque soit la cause de l’existence du feu ou son origine, si l’on arrête l’apport d’oxygène ou de bois, il s’éteindra.
En observant les situations de harcèlement, on remarque que chacune des personnes en cause ajoute des buches à sa manière. Bien évidemment, celui qui harcèle en posant ses actes agressifs, manipulateurs ou humiliants, mais également celui qui vit le harcèlement en tant que victime.
Si dans un premier temps, il peut sembler choquant de lui partager la responsabilité de la situation, qui dit responsabilité, dit aussi possibilité de faire bouger les choses. Et très souvent, il est intéressant de voir l’espoir que cela soulève pour la personne harcelée de se dire qu’elle a du pouvoir dans la situation.
Car, si on s’attaque au système du harcèlement en partant de la personne qui agresse, on a malheureusement peu de résultat. Bien souvent, cette personne profite de la situation, en retire des avantages ou la nie et n’est que très rarement demandeuse d’un changement. Elle n’est donc pas un levier pour faire bouger les choses.
Par contre, celle qui souffre est mobilisable et va signer très vite pour faire basculer l’inconfort dans l’autre camp, dans le camp de celui qui harcèle.
Patricia vient me voir, envoyée par une personne de confiance de l’entreprise où elle travaille. Elle souffre de la manière dont Sylvie la traite ou plutôt la maltraite. Sylvie récupère ses apports et se les attribue, la critique ouvertement en réunion, la rabaisse devant la hiérarchie. Elle me dit avoir d’abord demandé à Sylvie pourquoi elle lui envoyait de telles vannes, mais ce fut sans effet. Aujourd’hui, elle se contente de réagir le moins possible, tenter de se faire discrète afin d’éviter une escalade, elle fuit même certaines réunions ou la machine à café quand Sylvie s’y trouve… Elle vit dans la peur de croiser son regard, la peur d’ouvrir la bouche en sa présence, mais du coup, Sylvie lui envoie qu’elle est transparente ! Quoi qu’elle fasse, elle a le sentiment que Sylvie ne va pas la rater et la fera souffrir.
Quand elle vient, elle m’exprime immédiatement qu’elle trouve injuste que ce soit elle qui vienne me voir alors que c’est Sylvie qui a un problème. Je lui réponds qu’elle a raison, c’est injuste, mais malheureusement, je lui dis ne pas voir en quoi Sylvie aurait intérêt à ce que la situation change… Grand silence… « C’est vrai », dit-elle d’un ton extrêmement déçu. Et je lui dis : « Et si on lui donnait une bonne raison de vouloir que ça change ? Si on faisait basculer l’inconfort ? »
Comme beaucoup d’autres, Patricia sourit et se montre alors beaucoup plus mobilisée pour me suivre.
Ensuite, j’essaie de bien cerner ses réactions au harcèlement qu’elle subit et je lui montre comment le fait de s’écraser ou de fuir Sylvie est probablement, contrairement à ce qu’elle espérait, une manière d’attiser le jeu du chat et de la souris. Je lui propose alors de changer le jeu et de transformer la souris en quelque chose de beaucoup moins attractif pour un chat…
Patricia quitte notre rendez-vous avec une répartie nouvelle pour la prochaine attaque de Sylvie. Quand elle la critiquera à nouveau, elle lui dira : « Merci pour tes critiques, je me rends compte qu’elle me font avancer et me rendent plus forte ! N’hésite pas à en faire d’autres… ». Elle est prête à la remercier à chaque critique et lui faire un clin d’œil si elle l’humilie en lui murmurant de manière à ce que les autres entendent : « Super de jouer le jeu ! Merci !! ».
Je lui demande de s’entrainer, de ne pas attaquer Sylvie, mais d’attendre qu’elle vienne, car l’idée n’est pas de devenir elle-même une harceleuse. Et je la quitte en lui disant que j’espère que Sylvie y viendra afin qu’elle puisse me raconter ce qui s’est passé quinze jours plus tard.
Elle revient avec un air extrêmement déçu : « plus rien ! » me soupire-t-elle. « Je n’ai pas pu lâcher ma répartie, alors que je m’étais hyper exercée ! »
Effectivement, il s’est passé un phénomène assez courant quand on travaille avec le harcèlement : Patricia a changé de posture. Elle est arrivé au boulot différente, probablement en mode « viens me chercher et tu me trouveras » et plus du tout en mode petite souris pour le chat… Sylvie, en bon prédateur, a senti qu’il y avait un risque à s’attaquer à quelqu’un de plus assertif.
Evidemment, c’est une réussite pour Patricia, mais l’apprentissage est encore plus intéressant quand le harceleur se pique en se frottant, car il fera davantage attention avant de s’en prendre à quelqu’un qui semble fragile.
Ici, Patricia a appris qu’elle est capable de se défendre, elle s’est sentie plus forte, armée d’une certaine façon et s’est positionnée autrement au niveau de la relation.
La séance suivante va permettre de lui faire prendre conscience de cet apprentissage et l’aider à pouvoir le prolonger afin d’éviter que la situation se reproduise.
Le harcèlement s’arrête dès lors qu’il n’y a plus de victime potentielle et notre travail est donc de faire en sorte que la personne ne se comporte plus en victime.
L’approche interactionnelle telle que nous la pratiquons est évidemment particulièrement adaptée pour ce type de problématique. En regardant le problème comme un système et en choisissant un des éléments, souvent celui qui souffre le plus, nous pouvons le faire changer de comportement afin de modifier l’interaction et de ce fait, le système dysfonctionnel.